Entretien avec Milie von Bariter, Provéditeur Coadjuteur du Potentiel

Drunken Boat : Dans son ouvrage Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, Alfred Jarry donne la définition suivante : « La ‘pataphysique’ est la science des solutions imaginaires ». Quels rapports y a-t-il entre la version oulipienne de la ‘potentialité’ et la science de la ’pataphysique?

Milie von Bariter : La ’Pataphysique étant illimitation, elle inclut aussi les travaux ouxpiens. D’autre part, le rapport entre potentialité et ’Pataphysique est fréquent et assidu : le « potentiel » dont il est question dans chaque Ouvroir d’X potentielle correspond à un type de « solution imaginaire ».

DB : Comment peut-on envisager leurs similarités et leurs différences?

MvB : Dans les travaux ouxpiens, il ne s’agit pas de n’importe quelle solution imaginaire : c’est une solution imaginaire du domaine du « possible ». Cette solution imaginaire n’est peut-être pas toujours exécutée mais « exécutable à certaines conditions ». Le mot « potentiel » doit se comprendre dans le sens de « réalisable si l’on suit des règles pré-établies ». Toutes les solutions imaginaires ne sont donc pas obligatoirement potentielles, alors que toute solution potentielle est bien solution imaginaire.

DB : Quelles évolutions dans les activités des deux groupes depuis 1960 caractérisent des divergences ou des rapprochements dans la pensée de la ’pataphysique et celle de la potentialité?

MvB : Si l’on admet l’existence d’une pensée générale, la « pensée » de la potentialité serait incluse dans celle de la ’Pataphysique. En réalité, en ’Pataphysique, chaque pensée est exceptionnelle, et chaque ouvroir est également exceptionnel et indépendant. Il n’y a donc pas « deux groupes depuis 1960 », mais de multiples expériences menées parallèlement avec des intersections : les travaux de l’Oulipo ont commencé en 1960 au sein du Collège de ’Pataphysique, puis l’Oulipo a pris du large avec l’Administration du Collège.

Chaque ouxpo comporte cependant une majorité de membres qui sont aussi membres du Collège. Au début, les membres de l’Oulipo avaient tous le grade de « dataire » du Collège, mais peu à peu des membres non-pataphysiciens ont été cooptés. Cette mixité est de règle dans chaque ouvroir : ainsi pour donner un exemple anglophile, Stanley Chapman est Vice-Rogateur du Collège et membre fondateur de l’Outrapo, mais Tom Stoppard tout en étant membre de l’Outrapo ne fait pas partie du Collège de ’Pataphysique.…

DB : En quoi, selon vous, l’avenir actuel du Collège et des divers ouxpo partagent-ils des principes parallèles ou divergents?

MvB : J’avais fait, il y a quelque temps, un graphique montrant l’influence de l’Occultation puis de la Désoccultation du Collège sur la courbe de naissance des ouxpo …

graphie de phénomène

On remarque clairement que l’Occultation a provoqué des désirs de création ouxpienne et que la Désoccultation freine un peu ce phénomène.

Cela concerne le passé plutôt que l’avenir du Collège ou l’avenir des ouxpo, mais depuis la Désoccultation du Collège les rapprochements entre ouvroirs sont en augmentation constante, et souvent à l’initiative du Collège. On peut alors augurer qu’à l’avenir le Collège s’intéressera toujours autant aux activités ouxpiennes.

DB : Quelle coordination existe-t-il actuellement entre les divers ouxpo? Dans son livre, La Bibliothèque de Warburg, Jacques Roubaud évoque l’ambition de François Le Lionnais, celle d’un « Institut Universel de Potentialité » qui unifierait l’amalgame des Ou (ou- (ou- … X … -po) -po) Po; un consortium modestement orienté vers ce vrai rêve se met-il en place pour les années à venir?

MvB : La clef de l’organisation inter-ouvroirs se situe très évidemment dans les indications que François Le Lionnais a données, et précisément au n° 30 de la Bibliothèque Oulipienne, page 17 :

François Le Lionnais, sans qui l’Ouxpo ne serait pas ce qu’il est, pose le mot « horizon » en direction de la place de l’x, l’inconnue qui trône au centre de l’Ou-x-po (non, il ne voulait pas fonder un Ouhorizonpo, d’abord il n’eût utilisé qu’une syllabe par mot, donc Ouhorpo, de plus horizon est du masculin et l’x de tout ouvroir est féminine). Si l’x se situe « à l’horizon » ce n’est pas tant un but à atteindre qu’un idéal vers lequel il faut tendre. L’Ouxpo est un principe, un système de création sous contrainte volontaire, et sa concrétion se matérialise par la totalité des ouvroirs venus ou à venir.

Noël Arnaud prit la suite en devenant Président de l’Oulipo et en présidant aux destinées de l’ensemble des ouvroirs. Chaque nouvel ouvroir se faisant un devoir de demander la permission à Noël Arnaud de créer un nouvel avatar de l’Ouxpo.

À la Désoccultation, le Collège créa la fonction de « coadjuteur du potentiel ». Cette coadjutorerie centralise, au sein du Collège, les informations concernant les divers ouvroirs et organise administrativement des manifestations inter-ouvroirs agrémentées éventuellement de contraintes trans-ouvroirs. La première grande manifestation de l’Ouxpo a eu lieu sous tipi au Centre Georges Pompidou peu avant la Désoccultation (10 mai 1999), la dernière Réunion en date fut publiée dans le n°19 des Carnets du Collège de ’Pataphysique (15 mars 2005).

Mon rôle de Provéditeur Coadjuteur du Potentiel, s’il doit coordonner les ouvroirs, consiste alors à rechercher les coordonnées de l’Ouxpo, les rassembler, tâcher d’aider l’infini potentiel à se matérialiser de temps à autre dans des présentations communes entre les ouvroirs.